Le culte de la Liberté

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mercredi 13 février 2013

Ce que nous devrions apprendre de Lakshmi Mittal


“L’Orient est l’Orient, l’Occident est l’Occident et, jamais, ces deux mondes ne parviendront à se comprendre,” dit, il y a déjà longtemps, l’auteur britannique Rudyard Kipling. Le cas Mittal est peut-être une bonne illustration de cette phrase.

Lakshmi Mittal est Indien, de la caste des commerçants, les Marwaris. Pour eux, l’enrichissement personnel envers et contre tout est la condition de réussite de la vie terrestre. “Leur dharma, leur devoir, leur "vocation", est de s’enrichir. Quels que soient les moyens utilisés”, écrit Philippe Lukacs, de l’Ecole centrale de Paris (Le monde économique, 21 janvier).
Que Mittal soit oui ou non un Hindou pratiquant n’a bien sûr aucune influence sur la question. Sa culture, façonnée par la religion, est ainsi. Tout comme Arjuna, le guerrier, est appelé à combattre, même s’il doit tuer les siens, Mittal est “programmé” pour réussir. La Bhagavad Gîtâ résume ainsi la vocation d’Arjuna : Si, te référant à ton Ego, tu penses, « Je ne combattrai pas », cette décision est fallacieuse. Ta nature [te] subjuguera. (18.59) Autrement dit, tu dois obéir à ta nature et à ton dharma. Si ton karma t’a placé dans cette position, tu dois, et tu peux, aller de l’avant. Que d’autres souffrent de tes actions n’est pas réellement ton problème. C’est leur karma. Si, à leur tour, ils agissent selon leur dharma, ils renaîtront en meilleure posture la prochaine fois. Il n’y a donc pas de place pour la compassion.
Dur d’admettre l’absence de toute compassion ! Mettre l’argent avant les gens, on ne s’y fera pas. Non, bien sûr, que cela soit une tare réservée à Lakshmi Mittal. L’Occident est bâti sur la même règle, mais chez nous, on ne l’applique pas (plus) aussi ouvertement et aussi brutalement. A la façon Mittal, ça fait mal. Pourtant, il faudra s’y faire. La compassion est une plante fragile et délicate qui ne pousse vraiment que sur le terreau … de la Bible. Quand il ne reste plus que le matérialisme, la compassion est condamnée à disparaître, ou à devenir très épisodique. Dans la lutte sans merci pour la survie, seuls les plus forts réussiront. Un monde où les faibles et les petits réussissent n’est envisageable que dans le sillage de l’Evangile. Cela n’est pas dû à Mittal seulement. C’est inscrit dans la philosophie dominante de notre Europe moderne. Mais le fond culturel et religieux qui a produit un Lakshmi Mittal est en parfaite adéquation avec cette philosophie. Comme quoi, et c’est le Chrétien qui parle, quand tu chasses Dieu et la Bible, la barbarie revient au galop. Sème le matérialisme et tu récolteras l’amertume.
Il n’y a pas que la compassion qui trinque. La vérité ne se porte pas mieux. Nous entendons reprocher à Mittal qu’il n’a pas tenu parole. Là, nous ne sommes guère honnêtes ! Combien de promesses et d’engagements ont été rompus dans notre monde occidental ? La vérité, comme la compassion, est une plante exotique. Elle ne pousse pas sur le sol naturel du matérialisme ambiant. L’évolution est incapable de produire la vérité. Elle est d’un utilitarisme absolu. Ce qui rapporte sera vrai. Tenir un engagement au point de souffrir et de perdre ses propres avantages n’est pas dans la nature des choses et ce n’est pas M. Mittal qui devra nous l’apprendre. On nous explique depuis des décennies qu’il n’y a pas de vérité, pas d’absolu, pas de morale imposée par une autorité supérieure. Promettre sans intention de se sentir lié à sa promesse n’est qu’une variante commode de cette affirmation. Que les plus faibles en fassent les frais est inévitable. Tenir parole coûte trop cher.
Voulons-nous vivre dans un tel monde ? Ce n’est pas en traitant M. Mittal d’escroc et en criant à la nationalisation que nous allons sortir de l’ornière dans laquelle la voiture Europe s’est embourbée. La compassion et la vérité, et combien d’autres vertus chrétiennes, n’ont pas été déracinées. Elles ont expiré. Elles n’étaient plus nourries. Nous avons raclé le sol pour enlever le terreau sur lequel elles poussent.
Dans un monde areligieux comme le nôtre, il n’est pas facile de comprendre qu’ailleurs on est encore inspiré par la religion et par les traditions qu’elle véhicule. Des traditions qui nous heurtent. Des fanatismes devant lesquels nous aimerions fermer les yeux, pour bâtir une société égalitaire, gentille, compatissante. Nous voudrions tant que tout le monde accepte les vertus occidentales, les nôtres. Les nôtres ? Elles ne nous appartiennent pas. Elles ne sont que la survivance d’un autre monde, d’un autre temps. Et chaque jour, elles reculent un peu plus. Comme nous n’avons plus assez de racines pour faire pousser ces plantes, elles meurent et notre société avec elles. Pour avoir méprisé le Christ, nous deviendrons la proie facile d’autres philosophies, d’autres religions. Nous avons égaré le ciment de la maison Europe. Il restera un tas de ruines. Mais que ça fait mal …
M. Mittal nous apprend qu’il est grand temps de gratter le sol sous nos rêves pour voir sur quoi nous essayons de les bâtir. Du Magritte est joli à regarder. Mais comme fondement d’un meilleur lendemain, c’est insuffisant.