Le culte de la Liberté

Le culte de la Liberté

lundi 24 avril 2017

En marge

Quelques remarques en marge des élections françaises de ce dimanche.

1. Une élection coûte cher. Est-ce que cette dépense est réellement justifiée ? Non, je ne me lance pas ici dans un commentaire anti-démocratique. Mais, comme plusieurs parmi vous, sans doute, je prends acte que dès 20h, les instituts de sondage et autres nous ont livré le résultat remarquablement exact de ces élections, avant même qu’on ait reçu grand-chose comme résultat. Et si, à l’avenir, on se suffisait d’une estimation ? Après tout, dès 20h05, on parlait presque partout (Jean-Luc Mélanchon était une des très rares exceptions) des résultats, sans même attendre le résultat du comptage. La seule chose qui comptait était l’estimation, fondée sur ce que les gens ont dit. Serait-il temps d’économiser la grande messe des élections ?

2. Il n’est guère possible de considérer cette élection autrement que comme le résultat d’un vol. “On” a volé l’élection à François Fillon. Si, d’ici trois semaines, la justice conclut qu’il n’y a rien qui puisse lui être reproché sur le plan judiciaire, que faudra-t-il conclure ? Je ne dis pas qu’il ne s’est pas conduit comme un parfait idiot en acceptant le travail de sa femme et de ses enfants, de surcroit grassement rémunéré, si la chose est avérée. Dans ce sens, il a récolté ce qu’il a semé. Mais les deux candidats du deuxième tour, ne sont-ils pas également coupables ? M. Macron, n’a-t-il pas, très probablement, puisé dans la caisse de son ministère pour lancer sa campagne ? Mme Le Pen, n’a-t-elle pas des casseroles qui traînent au parlement européen ? Mais les média ont voulu se payer Fillon sans avoir voulu se payer Macron. C’est troublant. Car cela fait croire qu’en fin de compte, humainement parlant, ce sont les prêtres du culte médiatique et leurs commanditaires qui déterminent l’issue des élections. De là à dire que les dés sont donc pipés, il n’y a qu’un pas. Faudrait-il le franchir ?

3. Il est devenu difficile de s’imaginer une campagne électorale sans l’hystérie (organisée ?) des groupies hurlant à tue-tête après chaque phrase, même la plus insipide, de leurs idoles. On connaissait cela dans le monde de la musique et des sports, pas nécessairement réputés pour leur exigence d’avoir un cerveau bien fait et de savoir s’en servir. L’adoration réfléchie des mages a été échangée contre l’adulation effrénée des fans. Ce n’est pas un progrès. Mais aujourd’hui il n’est plus envisageable de faire élire un quidam sans grand renfort de groupies et de leurs drapeaux à l’identique. On se croirait (presque) en Corée du Nord ! Comment ne pas voir les foules déboussolées appâtées par des promesses et séduites par des discours les uns encore plus vides que les autres ? Comment ne pas s’indigner devant la manipulation et l’instrumentalisation froides et calculées des futurs désillusionnés ?


4. Voilà un probable futur président, venu quasiment de nulle part et qui n’a jamais passé par une élection avant celle-ci. Un orateur passionné, un politicien millionnaire, un “beau gosse” charismatique et de mieux en mieux entouré, puisque, comme toujours, rien ne réussit aussi bien que le succès. Jusqu’où ira-t-il ? C’est que beaucoup verraient bien en lui le sauveur apte à embellir, voire à garantir l’avenir. Voici un Européen avoué, mondialiste enthousiaste, promettant de guérir la France de ses clivages antiques et de nous conduire vers un avenir meilleur. Que demande encore le peuple ? Un nouveau Napoléon, a clamé quelqu’un. Avec une même tendance à se faire boucher des hommes ? Un Führer à la française, racé, policé, totalitaire et orgueilleux à volonté ? Cela, nous ne pouvons encore le savoir, bien sûr. Il sera peut-être très bien. Ou très mauvais. Ou très quelconque. Mais il vient dans un monde prêt à suivre l’Homme providentiel, et de moins en moins capable de discerner entre le bien et le mal et de plus en plus apte à plébisciter jusqu'à l'Antichrist. Pour un temps aussi dangereux, aurait-on dû espérer quelqu’un d’autre ?

samedi 22 avril 2017

L'avortement sans langue de bois (fin)

Voici la dernière partie de l'argumentaire concernant l'avortement. Il a été la cause directe du licenciement de son auteur par l'Université Catholique de Louvain. 
Permettez-moi d'en souligner cette phrase essentielle :
Ce n’est pas parce qu’il est désiré qu’un individu a de la valeur; c’est parce qu’il a de la valeur qu’il devrait être désiré. 


Pas d’échappatoire sceptique
Les partisans du prétendu “droit” à l’avortement se retrouvent donc un peu coincés. Or certains pourraient être tentés de leur porter secours en disant que ces affirmations universelles, ces raisonnements contre l’avortement peuvent bien être inattaquables aujourd’hui. Mais qui sait si on ne leur trouvera pas une réponse demain, l’année prochaine ou dans cent ans ? Le mieux, pense-t-on, est peut-être alors de se murer dans le scepticisme, et refuser de rien affirmer, qui risquerait d’entraver la liberté et d’éventuelles découvertes scientifiques à venir. Solution de facilité : autant arrêter de parler tout de suite alors, si l’on se dit que la moindre chose que l’on profère sera peut-être à bon droit contestée par un homme de science qui naîtra dans mille ans. Si on le laisse naître, bien entendu. Nous ne devons pas prendre nos décisions sur base d’hypothèses gratuites concernant l’état de la science de demain, mais nous fonder sur ce qu’il est possible de connaître aujourd’hui, sauf à préférer argumenter à partir de la science-fiction que de la science. Solution de facilité, donc, et vaine échappatoire, mais il faut la peser sérieusement malgré tout, puisque nombreux sont ceux qui y accordent du crédit. Car on pourrait très bien se dire : “Je ne vois pas de faille dans l’argument qui m’est proposé contre l’avortement, mais cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas, et je ne suis peut-être simplement pas assez subtil ou futé pour voir où le bât blesse. Il faut donc laisser le choix aux gens d’agir selon leur conscience, et d’avorter au besoin.” Essayez en changeant le mot ‘avortement’ par ‘viol’, pour apprécier l’effet.
Examinons cependant l’argument en prenant l’option sceptique au sérieux. Eh bien, même dans le cas du scepticisme, il reste que l’avortement est quelque chose qu’il faut éviter absolument. Même dans le cas du scepticisme le plus résolu. On peut passer en revue les différentes possibilités qui se présentent, en ce compris le cas du scepticisme. La conclusion, on le verra, est sans appel.
Premier cas de figure : l’embryon est bien une personne, et vous affirmez (avec raison dans ce cas) qu’il est une personne. Deuxième cas de figure, l’embryon n’est pas une personne, et vous affirmez (avec raison dans ce cas également) qu’il n’est pas une personne. Troisième cas de figure : l’embryon est une personne, mais vous ignorez (à tort dans ce cas) qu’il en est une. Quatrième et dernier cas de figure : l’embryon n’est pas une personne, mais vous ignorez (à tort de nouveau dans ce cas de figure) qu’il n’en est pas une. Il n’y a pas d’autre possibilité : l’embryon est ou n’est pas un être humain, et vous pensez qu’il l’est ou ne l’est pas. Deux fois deux : quatre possibilités. Ces différents cas de figure prennent bien en compte la question du scepticisme, puisque nous avons clairement distingué la situation objective de notre avis sur la question, qui peut être conforme ou non à la réalité, sans que nous ayons peut-être le moyen de vérifier cette conformité ou son absence.
Voyons maintenant ce que c’est que l’avortement dans chacun des quatre cas de figure envisagés. Dans le premier cas de figure, c’est très simple : c’est un meurtre au sens fort et, du point de vue légal, on parle d’un homicide volontaire. Si l’embryon est un être humain et que vous pensez qu’il s’agit d’un être humain (auquel cas vous avez raison de penser ce que vous pensez), l’avortement est bien un meurtre pur et simple. Et c’est même un meurtre avec préméditation.
Dans le troisième cas de figure (je reviendrai sur le second à la fin), l’avortement est un homicide involontaire. Dans ce cas, en effet, le fait objectif est que l’embryon est un être humain, mais comme vous ne le savez pas (et que vous vous trompez donc, en l’occurrence), on ne parlera pas d’homicide volontaire, mais d’homicide involontaire. C’est comme si je roulais en voiture : quelqu’un est couché en travers de la route, et je me dis : “Oui, bon, c’est vrai qu’on dirait quelqu’un, mais je ne pense pas qu’on puisse être assez bête pour dormir en plein milieu de la route; donc c’est sûrement une illusion d’optique. Ou une poupée gonflable, ou que sais-je encore.” Alors je ne dévie pas de ma route, je roule dessus en me disant que, de toute façon, ce n’est pas quelqu’un. Pas de chance, je me suis trompé : c’était un des mes étudiants, après une soirée trop arrosée, qui s’est retrouvé à dormir sur la route plutôt que dans son kot. Dans ma déposition, j’indiquerai bien à l’officier de police que je ne croyais vraiment pas qu’il s’agissait de quelqu’un pour de vrai; je serai de bonne foi, mais ce sera quand même un homicide involontaire.
Le quatrième cas de figure est incontestablement immoral. Certes, dans ce cas de figure, l’embryon n’est pas un être humain. Mais vous, vous pensez que c’en est un, et, en avortant, vous avez l’intention de tuer un être humain. Reprenons l’exemple de la voiture que je viens de donner. Sur la route, j’aperçois une forme allongée. Cette fois, je me dis : “Tiens, on dirait un de mes étudiants ! sans doute un de ces guindailleurs qui aura encore trop bu, qui n’a pas retrouvé le chemin de son kot et qui s’est bêtement endormi en plein milieu de la route.” Et en me disant cela, au lieu de dévier de ma route, je roule dessus en me pensant : “Et hop, un alcoolique de moins sur cette bonne vieille terre !” Mais heureusement, je me suis trompé : ce n’était pas un de mes étudiants, mais une poupée gonflable. Je ne serai donc pas poursuivi en justice pour homicide, vu que personne n’est mort dans l’affaire. Mais, moralement, j’ai agi avec une intention criminelle, puisqu’en ne déviant pas de ma trajectoire, j’avais bien le dessein de rouler sur un de mes étudiants.
Le deuxième cas de figure seul justifierait l’avortement : objectivement, dans ce cas, et dans ce cas seulement, ce n’est pas un être humain, et vous êtes convaincu que cela n’en est pas un. C’est le seul cas de figure qui permettrait de justifier un avortement : ce n’est pas un être humain, et vous savez que ce n’est pas un être humain. Tous les autres cas relèvent du meurtre, de l’homicide involontaire ou de l’intention meurtrière. Imaginez que vous êtes dans une pièce, que vous vous y trouvez bien, que vous êtes au calme. Dans la pièce d’à côté, cela s’agite un peu. Peut-être que ce n’est qu’un oiseau. Ou alors quelqu’un qui s’apprête à venir vous voir, quelqu’un que vous aimez bien. Ou pas : un huissier qui vient vous demander des comptes, par exemple. Bref, vous ne savez pas. Mais, juste à côté de vous, il y a un bouton. En appuyant dessus, vous obtenez qu’un mécanisme ferme hermétiquement la pièce d’à côté et libère une bonne dose de gaz. Vous pouvez avoir d’excellentes raisons de vouloir demeurer dans le calme et la tranquillité; après tout, vous n’avez peut-être rien demandé. Appuyer sur le bouton, c’est la garantie que, quoi qu’il y ait ou n’y ait pas dans la pièce d’à côté, cela ne vous tombera pas dessus. Peut-être qu’en appuyant sur le bouton, vous ne gazerez personne. Peut-être que ce ne sera qu’un oiseau. Mais peut-être quelqu’un. Peut-être un être humain, une personne (oui, même si c’est un huissier). Pensez-vous que le scepticisme — “Je ne suis pas trop sûr de ce qui se trouve dans la pièce d’à côté...” - justifie moralement le fait que vous appuyiez sur le bouton ? On comprend bien que seule l’assurance, seule la certitude morale de ne pas gazer une personne autorise à presser le bouton. La seule manière de justifier l’avortement serait donc d’établir fermement que l’embryon n’est pas un être humain, et d’affirmer que vous êtes bien sûr que ce n’est pas un être humain.
D’après tout ce qui précède, il me paraît très improbable qu’on puisse dire que l’embryon n’est certainement pas un être humain, et qu’on est bel et bien assuré qu’il n’en est pas un. C’est même si peu certain que c’est le contraire qui paraît solide et avéré : l’embryon, dès l’instant de sa conception, est une personne humaine; et nous avons d’excellentes raisons de penser qu’il en est un en effet. Or, l’avortement ne serait moralement acceptable que s’il y avait la certitude morale de ne pas tuer un être humain innocent. Sinon, que cela nous plaise ou non, on tombe dans l’un des trois autres cas de figure exposes précédemment, et qui relèvent de l’intention meurtrière, du meurtre au sens fort ou de l’homicide involontaire.
Dernières objections et réponse
Peut-être une dernière volée d’objections à évacuer. “Oui, mais cet être humain est malade, déficient, ou alors il est une charge pour moi et je ne le désire pas.” Si une personne peut être assassinée parce qu’elle est malade, les patients des hôpitaux ont du souci à se faire; et on n’oserait pas aller chez le médecin, qui nous prescrirait une bonne dose de cyanure puisque nous avons le mauvais goût de tomber malade, et d’être une gêne pour autrui. “— Et si cet être humain est déficient ?” Prétendre que cela justifie qu’on l’élimine porte un nom : eugénisme. On le tue parce que son cœur est déficient ? Parce qu’il manque un bout de cerveau, ou qu’il a un retard mental ? (A partir de quel seuil de QI mérite-t-on la mort ?) Parce qu’il a quatre doigts à sa main gauche ? Ou encore parce qu’il y a un problème pulmonaire et qu’il va être asthmatique ? Parce que c’est une fille ? Ou qu’il n’a pas les yeux bleus ? “- Les yeux bleus ou une déficience cardiaque ou mentale sérieuse, ce n’est pas la même chose quand même !” Entièrement d’accord, mais où mettez-vous la limite ? Quand on joue à mettre ce genre de limites, on se heurte à des objections insurmontables, d’autant plus que, si je veux que les autres admettent la légitimité des limites que je place arbitrairement, je dois aussi reconnaître à tout un chacun de placer les limites arbitrairement et où bon lui semble. Votre cœur ne fonctionne pas bien, vous ne saurez jamais compter jusque cent, vous n’avez pas les yeux bleus ? Peut-être que certaines de ces choses sont franchement pénibles, mais est-ce que cela justifie un meurtre ? Poser la question, c’est y répondre.
“— Et si cet être humain est une charge pour moi, et que je ne le désire pas ? C’est mon corps après tout (si je suis une femme).” D’abord, ce n’est pas votre corps, mais c’est quelqu’un dans votre corps, qui a un lien privilégié avec votre corps, mais dont il se distingue néanmoins. Nuance ! Quand ma belle-sœur était enceinte, je ne lui demandais pas : “Comment va ton corps ?”, mais : “Comment va l’enfant que tu portes ?” Ce petit corps dans votre corps n’est pas votre corps; d’ailleurs, son capital génétique n’est pas le vôtre : il tient du vôtre, mais il a son identité propre, et unique, et ce n’est pas la vôtre. Il n’est pas votre corps. Il est dedans.
Soit. Ultime objection : “Mais je ne le désire pas.” C’est très triste, indiscutablement Mais heureusement, notre droit à la vie n’est pas fonction du caprice ou du désir des autres. Supposons que mon voisin m’énerve, et que je ne désire pas l’avoir pour voisin. Pour autant, je ne peux pas aller acheter une carabine pour l’abattre ! Un enfant qui n’est pas désiré, c’est une situation triste, vraiment très triste et douloureuse. Et en plus, vous voudriez le tuer ? Reprenons l’exemple du voisin : il est désagréable, écoute sa musique trop fort, tond la pelouse le dimanche et vote communiste. C’est vraiment un type insupportable, il n’a rien pour lui, et personne ne peut le voir en peinture. Pourtant, cela ne confère à personne le droit de disposer de sa vie et de le tuer. J’ai le droit de vivre, même si cela ne plaît pas à certains. Ce n’est pas parce qu’il est désiré qu’un individu a de la valeur; c’est parce qu’il a de la valeur qu’il devrait être désiré. Il faut réfléchir sérieusement à cette phrase : le désir ne fait pas la valeur; c’est la valeur qui doit susciter le désir.
Il arrive pourtant qu’une grossesse ne soit pas désirée. Que ce soit par simple commodité (c’est la très grande majorité des cas ! ne nous leurrons pas !), ou en raison de circonstances dramatiques – un viol, par exemple. Cette absence de désir n’est pas un critère pour tuer celui qui est innocent Parfois, on invoque des motifs économiques, et l’on imagine qu’avorter est une solution quand la situation économique des parents, ou d’une future mère isolée, est mauvaise. Mais cela ne saurait constituer un argument valable : de mauvaises circonstances économiques chez nous seraient considérées comme très satisfaisantes dans d’autres pays; une fois encore, où mettez-vous la limite ? Le pouvoir d’achat ne permet pas d’acheter une PS4 pour Noël, on avorte ? On ne peut envisager de rejoindre une université de l’Ivy League, on avorte ? Un embryon d’une famille pauvre a moins de droits à vivre que celui d’une famille riche ? Prétendre qu’une vie humaine peut être éliminée sous prétexte que la conjoncture économique n’est pas favorable est une erreur de perspective, et c’est un jugement parfaitement arbitraire.
Quand l’absence de désir est liée à une circonstance dramatique comme le viol, la solution n’est pas de tuer un enfant innocent ! La seule vraie solution est un soutien psychologique, affectif, financier, individuel et collectif aux victimes de cette dramatique circonstance : la mère et son enfant Pas la mère au détriment de l’enfant. J’ai lu récemment le récit bouleversant d’une jeune femme, une lettre ouverte à sa mère, pour la remercier de lui avoir permis de vivre. Cette jeune femme est née à la suite du viol de sa mère, dans un cadre incestueux. Vraiment une histoire horrible. Eh bien, cette jeune femme remercie sa mère dans cette lettre, elle la remercie de ne pas avoir désespéré, de lui avoir donné naissance, et de lui avoir permis de grandir pour être devenue aujourd’hui la jeune femme qu’elle est devenue. Vivante et heureuse de l’être, malgré les terribles blessures psychologiques qui sont inimaginables pour toute personne qui a eu la chance de venir au monde en d’autres circonstances. Mais je le redis, parce que cette jeune femme a tenu à y insister : elle est heureuse d’être en vie, elle est heureuse d’avoir eu, malgré toutes les circonstances dramatiques et défavorables, la possibilité de vivre. Et de n’avoir pas connu le sort de tant d’embryons non désirés qui, dans des circonstances souvent bien moins dramatiques, ont été démembrés (l’euphémisme officiel consiste à parler de ‘dilatation et évacuation’, pour atténuer l’effet : encore une imposture du langage !) dans le ventre de leur mère, et jetés à la poubelle ou dans la cuvette des w.-c. Avez-vous jamais regardé des photos d’embryons ou de fœtus avortés, déchiquetés à la pince chirurgicale, ou même simplement arrachés au milieu dans lequel ils sont en train de se développer ? Si vous voulez le nom et le descriptif de ces instruments, allez donc voir comment se passent les choses dans une vidéo explicite, The Silent Scream, que vous trouverez facilement sur Youtube ou ailleurs sur Internet; le documentaire est classique et date de 1984 (ce qui explique le look à la Derrick), mais les instruments sont encore les mêmes, tout comme les techniques de démembrement Voyez également d’autres vidéos, en particulier celles qui sont indiquées dans la note bibliographique ci-dessous.
Une histoire pour conclure
Je terminerai, pour de bon cette fois, par une histoire. Une histoire vraie encore. Un professeur de biologie avait pour habitude, depuis une trentaine d’années, d’utiliser dans ses cours un embryon humain âgé de douze semaines, conservé dans une solution quelconque permettant sa préservation. Comme dans les musées de sciences naturelles. C’était un exemple bien pratique que les élèves pouvaient observer de près, c’était plus frappant qu’une simple photo ou qu’un dessin. Un beau jour, il reçoit une visite. Une jeune femme qu’il ne connaît pas, et qui lui demande un rendez-vous. Lorsqu’il la reçoit, il ne la reconnaît pas : elle doit avoir l’âge de ses élèves, mais non, décidément, il ne la remet pas. Elle lui explique alors qu’effectivement, il ne la connaît pas. Mais que sa mère était l’une de ses élèves, une vingtaine d’années plus tôt. Or elle était enceinte à ce moment, et, étant donné son jeune âge, elle avait pris rendez-vous pour un avortement. C’est justement ce jour-là que, par hasard, au cours de biologie, le professeur leur avait montré ce qu’était réellement un embryon. Le développement était inachevé, bien sûr, mais indiscutablement, personne de sensé n’aurait osé parler d’une masse protoplasmique, d’un amas de cellules cancéreuses ou que sais-je encore. C’était bien un embryon humain. Pas achevé, pas très beau à regarder. Mais indéniablement humain depuis que son profil ADN est complet, engagé dans un processus qui, de jour en jour, devait le rendre plus abouti. Quand la jeune femme enceinte a vu de ses yeux ce que c’était qu’un fœtus, elle a compris que c’était bien une personne humaine. En tout cas, elle a au moins compris qu’il y avait d’excellentes raisons de penser que ce petit bout était bel et bien une personne, minuscule et fragile. Elle n’a pas avorté le lendemain. Le rendez-vous au “planning familial” (encore un détournement odieux du langage !) a été annulé; elle a gardé cet enfant. Lui a permis de poursuivre son développement. Puis l’enfant est né, et a poursuivi son développement. Il a acquis la capacité langagière. Puis poursuivi son développement, et sa mère, quand elle a cru que le temps était venu où sa fille pourrait comprendre les circonstances un peu particulières auxquelles elle devait la vie, lui a tout raconté. C’est cette adolescente qui a pris rendez-vous avec le professeur, presque vingt ans après que sa mère eut suivi le cours où il avait, comme de coutume, montré le petit embryon a ses élèves. L’adolescente est venue remercier cet enseignant : s’il n’avait pas ouvert les yeux à sa mère sur le fait que l’embryon, tout minuscule et inachevé qu’il soit, est déjà cependant un petit être humain, une personne à part entière, elle ne serait pas là, devant lui ce jour-là.
Quand je songe à cette histoire, je me dis que, si jamais un seul de ceux qui n’avaient jamais sérieusement envisagé la question de la gravité de l’avortement, victimes d’une culture de mort qui nie la réalité du crime que constitue cet attentat contre la personne humaine, si jamais un seul de ceux qui prennent connaissance de cet argumentaire, après avoir réfléchi à tout ce qui vient d’être dit, renonce un jour à avorter, ou qu’il dissuade quelqu’un d’avorter, je me dis que mon travail a du sens. Le reste, c’est très intéressant et cela mérite assurément d’être étudié, mais ce n’est rien en comparaison du prix de chaque vie humaine et de la protection des innocents, des plus faibles d’entre nous. Nous avons tous été ces petits êtres faibles et sans défense, et nous ne sommes devenus les (jeunes) adultes que nous sommes aujourd’hui que parce que, depuis notre conception, nous avons été protégés.
Chaque petit embryon humain devrait avoir ce droit.

Stéphane Mercier

Note bibliographique
L’essentiel de l’argumentaire proposé ici se fonde sur Peter Kreeft; voir son site web personnel à l’adresse www.peterkreeft.com; l’article dont est tiré la substance de ce qui précède est intitulé “Pro-life Philosophy”; il s’agit d’une présentation orale de l’auteur, dont la transcription écrite est accessible à l’adresse suivante : http://www.peterkreeft.com/audio/19_prolife-pholosophy/prolife-philosophy_transcription.htm
Du même Kreeft, voir également les articles “Human Personhood Begins at Conception” et “The Apple Argument Against Abortion”, qui sont très proches par leur contenu et les modalités de l’argumentation : http://www.peterkreeft.com/topics-more/personhood.htm, http://www.peterkreeft.com/topics-more/personhood_apple.htm.
Un médecin, avorteur repenti, explique très clairement les procédures d’élimination de l’embryon et du fœtus durant le premier trimestre de la grossesse. Son témoignage est précis et saisissant. Regardez absolument les vidéos (et d’autres) suivantes, disponibles sur Youtube :
J’emprunte le récit final à l’article “A Christmas Story”, initialement publié dans le numéro de décembre 2003 des Calvin News, et que l’on peut trouver à divers endroits sur Internet, notamment à l’adresse suivante : http://www.catholiceducation.org/en/controversy/abortion/a-christmas-story.html.
De manière générale, on trouve d’excellents textes et témoignages sur la plateforme “Life Site News” : https://www.lifesitenews.com/topics/abortion.

mardi 18 avril 2017

L'avortement sans langue de bois

Voici la deuxième partie de l'argumentaire présenté par Stéphane Mercier. Une troisième et dernière partie suivra.


Illégal ou “seulement” immoral ?
Maintenant, on entend certains dire par exemple qu’à titre personnel, ils réprouvent l’avortement comme étant immoral, mais qu’il ne leur viendrait pas à l’idée de le rendre illégal. Raisonnement d’une étonnante absurdité, quand on prend la peine de s’y arrêter. On peut même aller assez vite en besogne sur ce point. Imaginez maintenant que le même individu déclare qu’à titre personnel, il trouve que le viol est vraiment immoral, mais que, pour “respecter la liberté de chacun” (sauf peut-être de la victime...), il ne faut pas pour autant le rendre illégal. Absurde, évidemment ! Eh bien, si l’avortement est un meurtre, comme on l’a dit, n’est-il pas encore plus grave que le viol ? Le viol est immoral, et heureusement il est aussi illégal. L’avortement, qui est encore plus immoral [1], ne devrait-il pas, à plus forte raison encore, être illégal lui aussi ?
Comprenez bien le raisonnement qui est à l’œuvre ici, car il faut se méfier des inférences indues. Tout ce qui est immoral ne doit pas être illégal pour autant. Il y a une foule de choses qui sont immorales, mais qui n’ont pas à être envisagées par le législateur pour être qualifiées d’illégales. Si j’ai passé ma journée à jouer à Total War: Warhammer, et qu’ensuite, je prétends à mes collègues que je suis fatigué parce que j’ai vraiment beaucoup travaillé, et que je leur dis cela pour avoir l’air d’un bosseur et susciter leur compassion ou leur empathie, j’agis clairement de façon immorale. Mais je ne pense pas que cela soit illégal pour autant, ni d’ailleurs que le législateur ait à s’occuper d’alourdir le code pénal avec ce genre de considérations.
Mais vous voyez bien qu’il s’agit de tout autre chose quand on parle de l’avortement, comme le suggère le rapprochement avec le viol : le viol est immoral, et c’est un acte si détestable qu’il faut absolument le prohiber; il est donc indispensable, du point de vue juridique, de qualifier cet acte comme punissable. Le meurtre délibéré d’un innocent est une chose encore plus condamnable moralement, et doit donc aussi, a fortiori, être condamné du point de vue du droit par le législateur. Je me répète, mais il est essentiel d’y insister.
Pensons aussi un peu à ce que doit être le droit, pour mériter ce nom. Le droit a pour raison d’être et pour but de protéger le plus faible contre l’arbitraire du plus fort. Le droit et la loi sont un rempart contre la raison du plus fort, l’oppression du despote ou la menace du caïd. Voilà pourquoi il y a des lois contre le vol et contre le viol, voilà pourquoi il y en a contre l’esclavage et la traite humaine. Voilà pourquoi il y en a contre le meurtre. Ou plutôt, voilà comment il devrait y en avoir contre le meurtre sous toutes ses formes. Car le vrai scandale est de voir que le meurtre est permis chez nous : avec l’avortement, le meurtre est même remboursé par la mutuelle alors que le simple vol à la tire est condamné. Le vol à la tire doit être condamné, évidemment. Mais à plus forte raison le meurtre ! Or que se passe-t-il ? Pour le meurtre, c’est permis en fonction du calendrier : le petit n’a pas encore atteint douze semaines ? Pas de chance pour lui, son assassinat et légal en Belgique. Et remboursable si maman a payé sa cotisation à la mutuelle. A partir de treize semaines, le petit commence à bénéficier d’une protection juridique. Mais passez la frontière des Pays-Bas, et sa protection juridique s’effondre : le meurtre est légal jusqu’à vingt-deux semaines. Et si, à vingt-trois semaines, vous pensez que le petit humain est tiré d’affaire, détrompez-vous : il est certes enfin protégé aux Pays-Bas et en Belgique, mais il suffit de prendre l’Eurostar et d’aller en Angleterre, où la protection ne commence qu’au-delà de la vingt-quatrième semaine.
On pourrait continuer notre petit voyage macabre, mais c’est assez pour signifier la folie monstrueuse de toute l’affaire. Vous êtes terriblement vulnérable à cinq ans, trois mois après votre naissance, durant le sixième mois de grossesse de votre mère, et, en réalité, dès le tout premier instant de cette grossesse, lorsque vos premières cellules travaillent d’après votre code génétique unique et flambant neuf à développer celui que vous êtes aujourd’hui. C’est cette vulnérabilité qui doit être protégée, depuis le premier instant. Pas le deuxième instant, le troisième, le dix-millième ou celui que fixe arbitrairement une législation aberrante.
Enfin, en l’espèce, voulons-nous ressembler à Ponce Pilate ? Vous connaissez l’histoire, mais il faut peut-être la remettre en mémoire : il représentait l’autorité romaine dans les territoires occupés par l’Empire en Judée; quand on lui demande de faire crucifier Jésus, il commence par dire qu’il n’est pas d’accord, parce qu’il se rend très bien compte que ceux qui l’ont amené à lui cherchent à faire tuer un innocent, et que c’est immoral. Mais il voit que les ennemis de Jésus insistent; et lui-même ne veut pas se mouiller – ou plutôt si, mais seulement au sens propre, puisqu’il se fait apporter une bassine d’eau, y plonge les mains et déclare : “Je m’en lave les mains, je suis innocent du sang de ce juste.” Et, alors qu’il a le pouvoir de s’opposer à ce meurtre, il laisse les mains libres à ceux qui veulent le perpétrer. Est-il innocent ? Non, parce qu’il refuse d’assumer la responsabilité morale pour laquelle il devrait se battre. Cette attitude porte un nom : dans le meilleur des cas, c’est de la non-assistance à personne en danger. Ce qui permet au mal et au crime de prospérer, comme on dit, ce sont les honnêtes gens qui préfèrent se voiler la face, ou qui, face à la prolifération du mal, demeurent inactifs. Ne pas dénoncer un mal, ne pas s’opposer à lui, c’est d’une certaine manière lui prêter son concours, et se rendre complice. C’est voir le danger qui guette une personne, et ne pas lui porter secours; et, comme le dit Sénèque, qui non velat peccare, cum possit, jubet, “ne pas empêcher de commettre le mal, quand on le peut, c’est y encourager.” (Troyennes, 300)
Imaginez encore quelqu’un qui dirait : “Oui, c’est vrai qu’à titre personnel, je refuse l’esclavage; mais que les autres décident comment ils veulent, je suis pour le droit à choisir, et je ne tiens pas à imposer à autrui ma vision négative de l’esclavage.” Ridicule, encore une fois. Il en va de même pour l’avortement : il est parfaitement absurde de dire que l’on est personnellement opposé à l’esclavage, au viol et à l’avortement, mais que l’on tient à laisser à chacun le droit de choisir s’il veut prendre un esclave, violer sa voisine, ou tuer l’enfant dans le ventre de sa mère.
Je voudrais encore insister. A vrai dire, étant donné la société dans laquelle nous vivons et les choix de vie que nous faisons tous ou que nous allons faire, je crois même que c’est l’un des sujets les plus importants de toutes nos études, un sujet qui engage profondément notre humanité.

Retour sur de possibles contre-arguments
J’ai longuement développe un argument simple qui établit de manière très claire et directe que l’avortement est le meurtre d’un être humain, d’une personne innocente. On pourrait encore regarder les choses en considérant non pas l’argument directement, mais les points à partir desquels ceux qui défendent un prétendu “droit” à l’avortement cherchent à faire valoir leurs vues en sens contraire.
Pendant un certain temps, le discours à la mode tendait à dire qu’en fait, l’embryon n’est pas un être humain, et le fœtus non plus, pendant une durée plus ou moins longue qui dépend de quel côté de la frontière vous vous trouvez. Il est clair, d’après ce qui précède, que ce discours ne tient vraiment pas la route : je le répète, le processus de développement est bien un processus continu et ne saute pas des paliers qualitatifs par magie; et le processus de développement se poursuit bien au-delà du stade fœtal, puisqu’on l’observe chez le nourrisson, l’enfant, etc. D’ailleurs, les législations contradictoires relevées précédemment en fournissent une démonstration par l’absurde : s’il y avait un saut qualitatif, un moment clair où apparaît une personne là où il n’y avait auparavant qu’un tas de cellules, on se demande bien pourquoi vous n’êtes pas légalement humain en Angleterre et en Belgique au même moment. Sauf à considérer qu’un belge est plus précoce qu’un anglais...
Du coup, quand on réfléchit un peu et que l’on s’aperçoit qu’il est décidément très embarrassant de nier qu’un embryon ou un fœtus soit une personne humaine, il ne reste que deux possibilités en faveur d’un prétendu “droit” à l’avortement. Vous pourriez par exemple contester la prémisse morale, celle qui disait qu’il est toujours moralement mauvais de tuer délibérément une personne innocente. Vous pourriez dire — interdiction de rire, car certains le disent en effet, pas directement, mais ils le disent sans même s’en rendre compte — qu’il ne faut pas exagérer, et que, parfois, on peut s’autoriser une petite exception, qu’il ne faut jamais dire jamais, ce genre de choses. Cela revient à prétendre qu’il n’y a pas de règles qui vaillent universellement, et qu’il faudrait se contenter de dire non pas qu’“il est toujours moralement mauvais, etc.”, mais seulement que “de façon générale, nous pensons aujourd’hui en Europe occidentale qu’il est moralement mauvais, etc.” C’est une manière de nier qu’il y ait des principes absolus, c’est l’affirmation d’un relativisme généralisé. (Remarquez au passage la contradiction logique que cela implique : “il est absolument vrai qu’il n’y a pas de principes absolus”, c’est comme “il est interdit d’interdire.”) En général, les gens qui tiennent ce type d’argument refusent d’en accepter les conséquences. Si on leur dit qu’alors il n’est sans doute pas permis non plus de dire qu’un génocide est moralement mauvais, mais que c’est seulement mauvais de notre point aujourd’hui en Europe occidental, ils vont se récrier.
Je vais prendre un petit exemple pour que ce soit parfaitement clair. S’il vient à quelqu’un l’idée de rejeter la première prémisse et de dire que c’est trop ambitieux d’affirmer quelque chose d’aussi universel que “Il est toujours moralement mauvais, etc.”, mais qu’une chose n’est moralement bonne ou mauvaise qu’en contexte; que cette personne se rende donc à une réunion de survivants de l’Holocauste et leur dise : “Vous savez, on ne peut pas dire qu’un génocide est toujours moralement mauvais, mais seulement que c’est quelque chose que nous réprouvons, nous, aujourd’hui, en Europe occidentale au XXIe siècle; donc il vaut mieux ne pas se prononcer sur ce qui n’était peut-être pas si mauvais dans un autre contexte.” On imagine le tableau. Il faut donc l’affirmer avec force : la première prémisse est aussi inattaquable que la seconde; et on est parfaitement fondé à énoncer des jugements de valeur à portée universelle. Cela ne signifie évidemment pas que tous nos jugements de valeur ont une portée universelle. Mais cela signifie que certains d’entre eux au moins ont cette portée : le génocide, c’est mal, un point c’est tout, toujours et partout. Le viol aussi. L’avortement de même, comme tout autre meurtre délibéré d’une personne innocente. Il n’y a pas de circonstance où un petit meurtre est permis, ou un viol occasionnel, ou un seul génocide.
Pour ce qui est de critiquer la conclusion légale que l’on tire de la morale, on a déjà suffisamment montré sa complète inanité, et ce n’est pas nécessaire d’y revenir.


[1] En tant que Protestants, nous sommes peu à l’aise d’hiérarchiser les péchés. Mais je reprends ici le commentaire suivant : “[L]e droit belge sanctionne plus sévèrement le meurtre et l’assassinat (art. 393-397 du Code pénal) que le viol (art. 375). Pourquoi les autorités de l’UCLouvain n’acceptent pas cette comparaison ? Elle est logique si l’on a pour fondement du raisonnement l’opinion apparemment autorisée d’affirmer l’embryon est un être humain.” Source : https://www.ultramontain.be/2017/04/12/des-%C3%A9tudiants-s-%C3%A9tonnent-une-police-de-la-pens%C3%A9e-%C3%A0-l-%C3%A9gard-monsieur-st%C3%A9phane-mercier/

vendredi 7 avril 2017

L'avortement : un meurtre ?

Dans l’affaire du professeur de l’UCL (post précédent), tout tourne autour de ce qu’il a enseigné. Or, on n’en a jamais cité que des bribes, et même pas les parties les plus essentielles. Comme d’habitude, on commet un assassinat par omission. On sort de son contexte l’une ou l’autre phrase et on se limite à cela. Probablement parce qu’on n’a pas de réponse adéquate au reste du propos. Ou peut-être parce qu’on est trop fainéant pour le lire. Permettez-moi donc de publier quelques longs extraits de son argumentaire.

Je vais commencer par l’essentiel. Stéphane Mercier pose une prémisse et développe sa réponse. J’en ai juste enlevé les phrases, souvent les bouts de phrase, qui ne sont pas essentielles pour le développement.


“L’avortement consiste à tuer délibérément une personne innocente, en l’occurrence un être humain qui se trouve encore dans le ventre de sa mère.”
Oui, mais. Là, on veut poser la question : “Mais un embryon, un fœtus, est-ce vraiment un être humain ?” Posons la question, oui, mais ne nous arrêtons pas là, de grâce ! Pourquoi en effet s’arrêter à l’embryon ou au fœtus ? Un nourrisson, est-ce vraiment un être humain ? Et un enfant, un adolescent, un adulte, un vieillard ? C’est légitime de poursuivre jusque là ! En effet, un adolescent, c’est un être humain parvenu au stade de développement qu’on appelle adolescence. Un vieillard, un être humain parvenu à un âge avancé. Eh bien, un embryon, c’est un être humain qui a atteint le stade de développement embryonnaire. Je parle d’un embryon humain, évidemment, comme je parle d’un adulte ou d’un vieillard humain ! Je ne parle pas d’un embryon de chimpanzé. Quel que soit le stade de développement considéré, l’être en développement ne change pas soudain d’espèce. Les différents termes : ‘embryon’, ‘fœtus’, ‘nourrisson’, ‘enfant’, etc. renvoient à différents stades de développement d’une même entité. L’adolescent humain devient un adulte humain, pas un escargot adulte. Eh bien, de la même manière, un fœtus humain devient un nourrisson humain, puis un enfant humain. Je le répète : on ne change pas d’espèce en fonction du stade de développement !
Pourtant, la discussion n’est pas terminée. Il faut encore insister un peu. Quand devient-on une personne à proprement parier, se demandera-t-on ? Car si on ne le devient pas, c’est qu’on l’a toujours été, depuis le premier instant. Mais supposons qu’on le devienne. De deux choses l’une : ou bien il s’agit d’un processus graduel, ou bien de quelque chose qui se produit subitement. C’est l’un ou l’autre. Mettons que cela se produit soudainement. A la naissance peut-être ? Dans ce cas, le fait de couper le cordon ombilical vous transforme soudainement en une personne, par la magie des ciseaux dont se sert le médecin. Ou alors, c’est votre position qui détermine que vous êtes une personne : dans l’utérus, vous n’en êtes pas encore une, hors de l’utérus, vous en devenez une. A quelques centimètres près !, par le contact magique avec l’air extérieur et en vertu du premier hurlement qui annonce aux parents que les prochaines nuits vont être difficiles ?
Ou alors c’est la technologie qui fait de vous une personne ? Vous vous dites ici que c’est bizarre comme supposition, que personne ne dirait cela. Détrompez-vous : beaucoup de gens disent exactement cela. Comment donc ? Tout simplement en prétendant que, pour être une personne, vous devez être viable, au sens où vous devez être capable de vivre par vous-même en dehors du sein maternel. Autrement dit, ces gens défendent l’idée selon laquelle ce qui fait de vous une personne, c’est la technologie et les soins qui peuvent vous être prodigués afin de vous conserver en vie dans un environnement donné. Il y a fort à parier, dans ce cas, que vous n’êtes pas une personne si on vous parachute dans la jungle, sans secours technologique adéquat (armes, médicaments, instruments divers). Un expert en survie se débrouillera sûrement très bien dans la jungle, mais je suis assez certain que, pour ma part, je suis “non viable” dans un environnement comme la jungle. C’est même probablement une question de minutes. Exactement comme le bébé arraché au sein de sa mère. Quelques minutes de viabilité.
Certains insistent pourtant : ce n’est pas la même chose, viable dans la jungle, viable hors du sein maternel. De fait, cela ne réclame pas la même technologie. Mais, en dehors de cela, la différence est inexistante. Viable, c’est très relatif quand on y pense. Voyez d’ailleurs le nourrisson : on ne peut pas le laisser sans surveillance, parce que l’environnement domestique est décidément trop hostile pour qu’il y survive tout seul ! Un environnement viable pour un adulte ne l’est pas pour un bébé de six mois et demi. Il n’est peut-être pas viable non plus pour une personne âgée et diminuée qui est capable d’allumer le gaz, mais est incapable de se souvenir qu’il vaut mieux songer à l’éteindre. Dire qu’on est une personne à partir du moment où l’on est viable, c’est un faux argument : votre viabilité est toujours fonction de l’environnement, de la technologie à votre disposition et de votre capacité à en user efficacement. Ce n’est donc pas du tout un bon critère.
Je plaisante, mais c’est important de comprendre à quel point l’argument soi-disant massue de la viabilité est ridicule et inopérant quand on le regarde d’un peu plus près. Cet argument de la viabilité est un argument fonctionnaliste, qui suppose que, pour être une personne, il faut fournir la preuve que l’on fonctionne comme une personne digne de ce nom. Mais, il faut le répéter, ce n’est pas un argument probant : un comateux, un petit enfant et un embryon sont incapables de parier. Sont-ils pour cela disqualifiés comme personnes ? L’exercice d’une fonction prouve effectivement que vous êtes bel et bien doté du support vital qui rend possible cette fonction; mais le fait qu’elle ne s’exerce pas, pas bien ou pas encore ne signifie pas que vous ne possédez pas ce support vital. D’où l’intérêt de la logique dans le raisonnement.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur la réduction opérée par le fonctionnalisme, mais revenons à notre sujet : ce n’est donc pas le coup de ciseaux du médecin, l’air aseptisé de l’hôpital ou la technologie qui vous transforment en une personne d’un coup de baguette magique.
Quand donc la vie d’un être vivant quelconque commence-t-elle ? C’est une question facile, en réalité. On a même des termes techniques pour dire les choses de façon savante : au moment où il n’y a plus, d’un côté, un ovocyte haploïde — une cellule haploïde est une cellule de “simple forme”, qui contient donc ses chromosomes en un unique exemplaire. D’un autre côté, un spermatozoïde tout aussi haploïde. Leur rencontre donne lieu à un embryon diploïde (“forme double”, le terme renvoie donc aux cellules ayant leurs chromosomes en double exemplaire), qui porte le nom de cellule-œuf ou zygote, au sens grec “de ce qui est attaché ou attelé”.
C’est à ce moment précis que commence la vie du nouvel être vivant, puisque son code génétique est complet, et que, ce faisant, il entreprend le développement du vivant individuel porteur de ce code génétique. A ce moment en effet, quelque chose de complètement nouveau et d’irréductible aux deux éléments antérieurs (l’ovocyte et le spermatozoïde) commence à exister et produit un développement cellulaire absolument spectaculaire, selon une organisation minutieuse. Nier l’humanité de cet embryon, sous prétexte qu’il ne serait rien d’autre qu’une tas de cellules” relève du mensonge le plus grossier. A ce compte, en effet, vous et moi, nous sommes aussi des “tas de cellules”, des plus gros tas, mais toujours des tas de cellules. Alors quoi, à partir de combien de cellules sommes-nous une personne humaine ? Trente-deux, cela ne suffit pas ? Il en faut 128 ? Ou quelques millions ? Le nombre n’a aucune importance : l’identité individuelle est acquise dès le début, dès que la séquence ADN est formée, c’est-à-dire au moment de la conception.
Insistons-y : ce n’est pas un vulgaire tas de cellules désorganisées qui évolue au hasard pour devenir soudain ceci ou cela. Dès que le code génétique est complet, dès l’instant de la formation de l’embryon, les choses s’organisent dans une direction très précise. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de ratés, mais ce ne sont, précisément, que des ratés. Il n’y a pas de ratés dans un développement livré au hasard, ne serait-ce que parce qu’il serait impropre de parler de développement dans le cas du hasard. Le code génétique de la fourmi préside au déploiement cellulaire de la fourmi. De même, le code génétique qui préside au développement d’un être humain est celui d’un être humain. Le code est parfaitement au point dès le départ, et ne bifurque pas de manière aberrante en cours de route, et le nombre de cellules n’y change strictement rien.
Quand on y réfléchit, je ne fais qu’enfoncer des portes ouvertes. Pourtant, cela n’est pas inutile, puisque certains se demandent encore quand on a devant soi un être humain proprement dit, et font une distinction spécieuse entre un “être humain actuel” et un “être humain potentiel”. Et qu’est-il donc actuellement, cet être humain “potentiel”, un rhinocéros ? Les capacités de cet être humain sont potentielles (il est potentiellement un grand savant, un excellent sportif ou un indécrottable pilier de comptoir), mais son identité humaine personnelle unique et individuelle est acquise d’emblée, et c’est justement cette identité de base qui sert de support à toutes les potentialités qu’il développera (ou non) au cours de sa croissance.
Alors, c’est vrai que le microscopique embryon n’a pas encore de système nerveux, de cœur, de cerveau, tout ce que vous voulez. Mais un peu de patience ! Il est en train de développer tout cela. Et je vous garantis que l’embryon humain ne va pas développer un cerveau de chat ou de mésange, mais un cerveau humain. Et je vous garantis aussi que celui-ci va mettre beaucoup de temps à se développer pour atteindre sa maturité. D’ailleurs, à quel moment dira-t-on que le cerveau est fixé définitivement ? Tout le monde sait bien que c’est très progressivement que ce développement se poursuit, s’affine, puis commence doucement à se déliter, tout au long d’un processus que seule la mort peut interrompre.
En outre, comme me le faisait remarquer mon frère par manière de plaisanterie à propos de son bébé nouveau-né : le cortex préfrontal de son bébé n’est pas encore aussi développé que celui de Gordon (Gordon était l’un de nos chats) à son zénith. Mon neveu, à ce moment-là, était-il donc moins une personne que mon chat? J’aimais beaucoup mon chat, mais ce n’était décidément pas une personne; quant à mon neveu, son activité corticale réduite n’en fait pas une non-personne. Laissez-lui donc le temps de poursuivre un développement qui, de toute évidence, est en cours, et rappelez-vous que seul un être humain va pouvoir développer l’activité cérébrale “standard” d’un être humain. Même avec un bon paquet d’électrodes dans le cerveau, mon chat Gordon n’aurait pas pu réaliser ce type de développement
Mais ne pourrait-on pas dire que c’est très progressivement qu’un être humain (là, nous sommes d’accord, je crois : l’embryon qui se forme dans le sein de la femme est bien un embryon humain, pas celui d’un chat) devient une personne ? L’argument, ici, consisterait à dire que, quand on parle de ‘personne’, on ne se trouve pas nécessairement dans une logique du type “ou bien/ou bien”. Soit, on peut admettre l’hypothèse et la tester.
Supposons donc que l’on devient progressivement une personne au cours de la gestation, avec l’idée sous-jacente qu’on pourrait éventuellement “tuer” un humain en cours de maturation dont tous les systèmes ne sont pas encore élaborés. Je ne dis même pas ‘fonctionnels’ — rappelez-vous la viabilité du nourrisson, la vôtre en Antarctique, la mienne dans la jungle —, je dis seulement ‘pas encore élaborés’. Réfléchissez à cet argument : il n’est absolument pas sérieux. Quels systèmes pas encore élaborés allez-vous juger nécessaires pour que votre humain soit une personne ? Sur quelle base allez-vous privilégier tel système plutôt que tel autre ? Regardez l’enfant de cinq ans. Manifestement, son système reproductif n’est pas encore élaboré : physiquement (et psychologiquement !), il est immature sur le plan sexuel. Même chose pour sa capacité d’abstraction. Qui dira que ce n’est pas une personne pour autant, et qu’il est permis, par conséquent, de l’assassiner ?
Le processus de croissance et de développement des différents systèmes qui nous constituent prend du temps. Certains sont achevés en cours de gestation, d’autres au moment de la naissance, d’autres encore mettent quelques années supplémentaires. L’idée du processus, c’est bien celui d’une maturation qui prend son temps, et il n’y a pas un moment où le système n’existe pas, et l’instant suivant où il se trouve présent comme par enchantement. Si vous pensez qu’on n’est pas une personne tant que tout n’est pas bien en place, ce n’est pas l’avortement à douze, quinze ou vingt semaines que vous devez défendre, mais l’infanticide et le meurtre au moins jusqu’à la puberté. Et l’euthanasie précoce quand l’un ou l’autre des différents systèmes commence à s’enrayer. La ménopause comme motif de meurtre ? C’est tout à fait dans la logique de ceux qui soutiennent qu’on peut avorter d’un embryon sous prétexte que tous les systèmes ne sont pas en place. Evidemment, ceux qui soutiennent un prétendu “droit” à l’avortement ne vont pas jusque là; mais, en bonne logique, on peut se demander pourquoi. Si l’on exclut les motifs sentimentaux, on ne voit pas pourquoi, à supposer qu’un humain n’a rang de personne que si tous ses systèmes sont au point, il faudrait logiquement exclure le droit à l’infanticide ou à la liquidation des femmes ménopausées. Une fois encore, cela fait rire, tant cela paraît absurde. Mais ce qui est remarquable, c’est que tant de gens ne voient pas à quelles monstrueuses absurdités les conduirait la logique de leur raisonnement, s’ils acceptaient d’être cohérents.
Revenons à notre propos. S’il est moralement mauvais de tuer délibérément une personne innocente, et que l’enfant dans le ventre de sa mère est bien une personne innocente (qui n’est certes pas complètement développée, mais l’enfant de cinq ans ne l’est pas non plus), la conclusion est indiscutable : tuer un enfant au stade embryonnaire ou fœtal, dans le ventre de sa mère, est moralement mauvais, comme il est mauvais de l’assassiner quand il est âgé de cinq ans. Toujours. Dans tous les cas. Comme le viol. Le viol est moralement mauvais, dans tous les cas : il n’y a pas de circonstances capables de rendre cet acte bon, ou même simplement acceptable. Quand on parle d’avortement ou quand on parle de viol, on parle d’un acte, comme on dit, intrinsèquement mauvais, un acte qui est mauvais en lui-même et par lui-même. C’est moralement mauvais de soi, quelles que soient les circonstances.
Un avortement ne peut pas être réduit à un acronyme qui se donne toutes les apparences d’être inoffensif : “IVG”. Les mots ne sont pas neutres ! Parler d’‘avortement’, cela n’a pas la même tonalité que parler d’‘intcrruption volontaire de grossesse’; et d’ailleurs, dire cela complètement ou parler par acronyme (‘IVG’), ce n’est pas non plus la même chose. Pensez à la novlangue, la langue officielle d’Océania dans 1984 de George Orwell. ‘IVG’, c’est un euphémisme qui dissimule un mensonge : la vérité, c’est que l’avortement est le meurtre d’une personne innocente. Et c’est même un meurtre particulièrement abject, parce que l’innocent en question est sans défense. Déjà que le meurtre d’un innocent capable de se défendre est une action révoltante; mais s’en prendre à quelqu’un qui n’a pas la force ou les ressources pour se défendre, c’est encore plus ignoble.

La suite une prochaine fois.